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1980-1985 

            Naïveté Quête naïve de formes souvent élémentaires mais toujours suaves dont les départs semblent être ce qu'en nous et derrière nous, comme l'élan de nos consciences enterrées et venir de nos ancestraux rapports avec les mousses, les sources et les bois. Que de vallées mortes, de bois sombres et somptueux dans ces immobiles aplats.

            Dans cette époque de singularisations néo-matérialistes, de confusions des valeurs poétiques avec celles du savoir-faire et des procédés qui ne trouvent finalité qu'en eux-mêmes, l'humble quête de Scholtès est le vrai retour vers ce que la tradition nommait inspiration.

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            Avec si peu d'intellectualité, d'artisanat et de caprice qu'il semble ne pouvoir se soustraire à une approche quasi-terrienne de l'esprit.

            Bien sûr qu'il y a par moments tentation de plaisirs et que le peintre en ces instants assure avant tout ses propres joies.

 

            Qu'il y a des frémissements formels et coloriaux, parfois un répétitif rassurant.

 

            Il ne peut guère en être autrement dans un temps où, sous l'idée pure, tout s'est fait, où il faut quasiment plus refuser que dire.

 

            Et puis il y a aussi sans choix préalable, de douces affinités et de tendres rencontres.

 

            Les meilleures pièces deviennent les pièces solitaires, uniques et solitaires par ce qu'elles ouvrent en nous d'identité nouvelle et de champs inconnus.

 

            Et de celles-là il en est beaucoup.

            Créativité Banalisation ordinaire jusqu'à l'impuissance de transmettre une autre nouvelle et continue parole de l'homme à l'homme qui de lui contient et assure son dépassement, son renouveau, sa durée révolutionnaire.

 

            De vieilles vertus qui remontent à la gorge avec des odeurs de vieux vins, des semelles de terre aux bouches qui chantent parole. Une honnêteté.

 

            Pour la plupart les oeuvres de Scholtès ont ces parfums sans ambiguïtés techniciennes, sans accents manipulateurs. Tout semble réfuté de ce qui pourrait surprendre, distraire ou même se reconnaître en, pour un plus grand partage de ces rythmes profonds qui viennent par nos jambes et nos corps aux renouveaux de nos visions.

 

            Pour un toujours autre senti.

           Scholtès nous a dit ses bonheurs à aller solitairement courir les champs et les bois qui éclairent ces paysages où il vit. Non pour en dire les formes et les couleurs en quelqu'abstraction.

 

            Alors comme une éponge préparée ?

 

            Une ascèse vivante ; l'arbre, la terre, les sillons, la bête morte, la fleur et les fruits féconds étant ses exercices.

 

            Et puis l'oeuvre nourrie de ces communions collectives n'est plus faite que de mesures et que de libertés.

 

            De ces libertés qui sont nature de l'autre, infini et inconnu.

 

            Autre qui est âme du violon et sonorités des tambours.

 

            Libertés véritables, création de formes où se résout et le monde et le temps, et pas du tout systèmes, mode de reconnaissance, qui, fils illusoires de liberté formaliste, sont les sources de tout enfermement.

 

            Si l'oeuvre est à votre image changeante et renouvelée, elle est toujours combat de liberté. Un petit peu d'acquis en notre identité est oeuvre de liberté.

 

            Ce n'est pas un moindre mérite que de prouver qu'un peintre, sans manifeste, peut oeuvrer dans les filières dont les techniques ont pour but de donner des objets aux hommes.

 

 

            Le rôle du poète et du poème c'est d'aider l'autre à trouver sa poésie, à faire en sorte de vivre sa vie dans cette présence à soi et aux choses au cours des actes les plus quotidiens.

 

            Nous sommes au coeur du grand secret où par l'intercession de l'oeuvre chacun se redonne vie, chacun est le poète de chacun. Allumer en soi, chacun pour soi et sans peur d'égoïsme sa petite ampoule folle. Plus nourri tu seras de ces choses et moins l'autre aura faim.

 

            C'est à cette banalité-là que tend Armand Scholtès.

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           Un rectangle, deux lignes horizontales, un registre noir, un gris, un bleu, une bande rouge et l'oeuvre sans discours -sans singularité, dynamise et étonne nos pré-établis intérieurs. Nous-mêmes où sont nos morts.

            Ces muralités sont comme des appels, des provocations à une autre architecture où il y aura du vent, des enfants, où l'on ira pieds nus rencontrant des gens qui se regarderont.

 

 

            Les oeuvres de Scholtès ne sont pas ce qui est sous la peau des choses (sauf peut-être la série consacrées aux pierres et roches).

Le regard (de l'art) passe à travers l'enveloppe, à travers la forme extérieure, pénétrant jusqu'à l'intime des choses et il nous fait percevoir par tous nos sens leur pulsion intime... Ainsi frémit la matière morte.

 

            Ce texte de Kandinsky paru dans la Blaue Reiter en 1912 aussi important qu'il fut et qu'il est peut-être encore pour l'art contemporain nous semble inconsciemment constitué des illusions positivistes et matérialistes sur l'unité du monde et a embarqué par autosignifiance l'oeuvre à la solitude par un objectif réduit au minimum. Les conséquences dans le temps d'ajourd'hui sont après les ready-made, l'abstraction pure, le blanc et l'hyper-réalisme, situations dégagées de tout antropomorphime.

 

            Dans la forme ou les formes choisies du monde, l'être ne perçoit que l'être, sa vie, sa mort et le réel auquel recourt toute oeuvre n'est jamais que le réel intérieur. Les millions de morts ne sont jamais les ressorts qui grincent.

 

 

            L'oeuvre d'art restant toujours un fait particulier, la liberté absolue qu'elle représente entre toujours en contradiction avec l'état permanent de non-liberté qui règne dans le tout.

 

            D'autant qu'il n'est jamais d'absolu dans le processus expressivité -réceptivité- identité mais seulement culturalité et d'une voie du non-être n'est née qu'une artisticité décorative. C'est dans les mots que nous pensons.

 

            Entre ces situations dichotomiques il est aujourd'hui des situations nouvelles. Celle par exemple où Scholtès combat, recherche, résussit ou s'égare, qui est d'un art primal en recherche de substrat civilisateur.

            Ce ne sont que toiles, vernis, enduits, peintures et cependant moyens qui n'oscillent plus, inexistent dans les équilibres des oeuvres proposées.

 

            Aucune solidarité avec ces démonstrations qui ne sont qu'actes et matières, ces boites de conserves pressées, ces objets purs ou détruits dans un cri sociologique, seulement sociologique. Emancipations mercantiles que l'idée dominante, qu'un territoire d'une conceptuelle créativité manifestent.

 

            Rimbaud devenu trafiquant d'armes au Harrar n'est plus qu'une péripétie tragique.

 

            De ceux-là, le je fais dont je suis est remplacé chez Scholtès par je ne fais qu'anonyme et le moins que je peux, dont vous êtes.

 

            Et Dieu que c'est salutaire.

            Humble retour accepté à des produits communs, à parole populaire.

 

            L'illusion romantique anime encore notre temps, par sa plus petite évidence -ce sentiment que l'artiste est plus important que son produit (nous pourrions dire sans paradoxe que le porte-bouteilles de Marcel Duchamp est la dernière oeuvre romantique).

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            Par sa plus petite évidence, car nous pensons que le romantisme a son épanouissement, comme chez Dada ou le Surréalisme, le plus profond en sa dénonciation historique.

 

            Cet artiste, désigné par tous modes provisoires, n'a cependant existence que sous le regard de l'autre et naît ainsi le conflit, de nature à être, qui ne se peut résoudre que sous les masques -masques de tous les ésotérismes, des styles apparents, des écoles hebdomadaires, jusqu'à la rupture des situations éthiques- sans définir les critères spécifiques de ces situations. Vogue le bateau, les écueils n'ont pas le temps de naître !

 

            L'oeuvre n'a plus ressort en elle ni à être belle, mais comme le dit Hugo dans la préface de Cromwell, esthétique, artistique, c'est-à-dire au sens latin sensationnelle, jusqu'aux privatismes choquants, surprenants, inouïs.

            Rupture, bien éclairée et sans issue dans l'inconscience collective derrière chaque oeuvre oeuvre d'art s'engendrant elles-mêmes (F. Schlegel, Nietzsche : wille zur Macht).

 

            Cette tension dialectique que nous croyons personnellement décidèment destructrice est résolue dans l'oeuvre de Scholtès en sa finalité populaire et sa nature liturgique.

 

            Par quel heureux instinct, quelle profonde culturalité, continue-t-il à vivre dans sa cité métallurgiste, comme Charles Szymkowicz peint la rugueur et la douleur des hommes sur le coron où son père est mort.

            Un excès d'enfance est un germe de poème (Bachelard). La poétique de la rêverie.

 

            Scholtès, une allure ouvrière ; on lui devine encore à l'épaule la musette gardée des pères comme on devine aux pas du fils paysan le compas des sillons.

 

            Un art simple, comme vient du peuple un poète et l'acier.

 

            Un art d'écologie.

 

            Et l'on pressent Scholtès partager avec Francis Ponge je ne me veux pas poète ;;; que je tiens plutôt à la conviction qu'aux charmes qu'il s'agit pour moi d'aboutir à des formules claires et impersonnelles.

 

            Toutes les formes arrêtées par la peinture, fusillées en leur mouvement, dans leurs instants, organisent dans cette Bar-le-Duc vivante un tout, une chaîne. Un désir en même temps qu'un destin et comme le souhaitait Beatrix, les produits deviennent une oeuvre.

 

            Spectateurs, soyez le centre d'un long périple - le clocher de Bar-sur-Aube-. Que votre oeil se suspende, soldat n'ayant plus de souvenir.

 

            Aux muralités exposées, explosées, il résonnera une nouvelle nature de feu, de pierres, d'herbes et de fécondités.

 

            Une santé d'art.

 

Roger Decaux

 

Extrait du catalogue édité à l'occasion

de l'exposition au Musée de Bar-le-Duc

Avril-Juin 1985.

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